Dans mon dernier
billet, nous avons décrit les conséquences néfastes
d’une politique inflationniste. Il est donc tout à fait
raisonnable de craindre l’inflation et d’éprouver de la
gratitude envers les banques centrales qui chercheraient à stabiliser la création monétaire
et à contrôler le niveau des prix.
Hélas !
Ne crions pas victoire! Les figures 1 et 2, ci-dessous, nous montrent
l’évolution de la base monétaire en zone Euro et aux États-Unis.
Nous pouvons observer que les banques centrales n’ont pas
stabilisé la masse monétaire. En effet, celle-ci ne cesse de
s’accroître avec une hausse annuelle moyenne de 10,83% côté
Banque centrale européenne (BCE) et de 16,55% pour la FED entre 2002
et 2012.
Figure
1 : Evolution de la base monétaire, milliards d’euros et
dollars (Sources : BCE, St. Louis Fed, 2013)
Dans
la figure 2, nous pouvons même constater que la variation de la base
monétaire américaine fait un saut brutal de 80% en 2009
correspondant aux mesures de « quantitative easing »
prises à la suite de la crise financière des subprimes.
Figure
2 : Variation % de la base monétaire € et $ (Sources :
BCE, St. Louis Fed, 2013)
Les
banques commerciales n’ont que timidement suivi ces stimulations de
liquidités des banques centrales, comme nous pouvons le constater dans la figure 3 ci-dessus. Les banques
américaines ont procédé à une expansion moyenne de
monnaie scripturale de 4,5% par an, tandis que leurs consœurs
européennes ont été un peu plus généreuses
avec une expansion de 5,95% par an.
Figure
3 : Variation % de l’expansion de la monnaie scripturale des
banques (Sources : BCE, St. Louis FED, 2013)
En gros,
l’offre monétaire totale (M2) augmente pratiquement au
même rythme en Europe et aux États-Unis, avec une moyenne
annuelle de 6,4% en Europe et de 6,18% aux États-Unis (figure 4).
Figure
4 : Variation % de l’offre monétaire totale (M2) des
€ et $ (Sources : BCE, St. Louis FED, 2013)
Et
pourtant, lorsqu’on regarde les indices de prix à la
consommation, on constate que l’inflation-prix n’accompagne
apparemment pas cette évolution monétaire. La figure 5,
ci-dessous, nous montre une inflation moyenne assez faible de 2,12% par an en
Europe et de 2,4% aux États-Unis pour la période 2002-2012.
Ne
faudrait-il pas dès lors en conclure que les banques centrales Euro-américaines
réussissent bien à maîtriser l’inflation-prix en
dépit d’une forte expansion monétaire ?
Figure
5 : Variation % de l’IPC Zone Euro et États-Unis
(Sources : BCE, St. Louis FED, 2013)
Ce
serait aller trop vite en besogne. Pour rappel, l’inflation des prix
consiste en une hausse généralisée, mais pas
nécessairement homogène, des prix. Or, les biens de
consommation ne constituent qu’une partie de l’ensemble des biens
négociés sur le marché. La donne change
complètement quand on observe l’évolution de leurs prix.
Commençons
par la zone Euro. Les indices de prix de la production d’énergie
et de l’immobilier nous montrent une réalité bien
différente de celle des biens de consommation (Figure 6).
L’inflation annuelle moyenne est de 5,61% pour le secteur
énergétique et de presque 4% pour l’immobilier. Il est important de remarquer que ces
indices s’envolent quand l’expansion monétaire s’accélère
avec des pics pouvant atteindre 14% par an dans le secteur
énergétique.
Figure
6 : Variation % des indices de prix dans le secteur
énergétique et l’immobilier (Source : BCE, 2013)
L’évolution
des indices des commodities
(matières premières et autres biens fongibles) est encore plus
grande (Figure 7). La moyenne annuelle pour les commodities alimentaires était de 6,86% entre 2002 et 2012, avec des hausses
de presque 20% en 2008, 2010 et 2011. Pour ce qui est des commodities non-alimentaires (e.g., minerais), la moyenne annuelle pour la même
période est de 10,10% avec des pics de 40% et presque 60% en 2006 et
2010 respectivement.
Figure
7 : Variation % de l’indice de prix des commodities, Zone Euro
(Source : BCE, 2013)
Aux
États-Unis, le scénario n’est pas très
différent de ce qu’on voit en Europe. Les indices de prix
industriels ont facilement dépassé le seuil de 10% entre 2002
et 2012 (figure 9). Les moyennes annuelles sont de 8,7% (matières
premières), 7,5% (secteur énergétique), 4% (commodities
industrielles), 8,2% (matières intermédiaires), et 4,2%
(secteur énergétique intermédiaire).
Figure
8 : Variation % des indices de prix industriels aux États-Unis
(Source : St. Louis FED, 2013)
Comment dès
lors expliquer que l’évolution des prix à la consommation
soit restée modérée ? Il est notoire que les indices de
prix à la consommation sous-estiment l’impact des prix de
l’immobilier et de l’énergie. L’IPC le plus
divulgué aux États-Unis, par exemple, n’inclut pas ces
deux aspects dans les indices de la consommation américaine. En Europe,
la sous-estimation de ces deux postes de dépenses est souvent la
règle.
D’un
côté plus pratique, il ne faut pas négliger
l’impact de la délocalisation de la production industrielle dans
les pays émergents, surtout en Chine, Inde, Turquie, et autres pays
asiatiques. Cette délocalisation vise à contrecarrer des prix
élevés et inflexibles sur le marché du travail et dans
l’immobilier industriel. Du coup, une bonne partie de l’inflation
euro-américaine est exportée ailleurs – de la même
façon que l’inflation américaine de
l’après-guerre a été exporté en Europe
jusqu’à la fin des années 1970.
Nous constatons ainsi que
l’inflation moyenne annuelle (IPC) au Brésil est de 6,56%
(inflation actuelle : 6,15%), et en Inde de 7,07%
(inflation actuelle : 11,17%). Le cas de la Chine est plus difficile
à évaluer puisque les statistiques y sont
réputées peu fiables. Cependant, les hausses de prix
vécus par les visiteurs des grands centres de Shanghai et
Pékin, laissent penser que l’inflation-prix pourrait y
dépasser les deux chiffres.
L’inflation
n’est donc pas une alternative. Elle est déjà là.
Donc ceux qui proposent de l’inflation comme solution veulent seulement
dire qu’ils en veulent plus. Jusqu’où cela risque-t-il de
nous mener ?
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