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Le bal des vampires

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Published : May 23rd, 2012
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Category : Editorials

 

 

 

 

Les dirigeants allemands et français effectuent un premier tour de chauffe. Ils explorent les termes du compromis politique qui devrait être finalisé dans les semaines à venir, au plus tard fin juin à l’occasion du sommet européen. Dans l’état, selon le peu que l’on en pressent, celui-ci ne règle ni la crise grecque, ni l’espagnole. Pendant ce temps, dans le fond d’un décor mal éclairé, d’autres événements interviennent. L’instrument basique de la mesure du risque financier se révèle totalement défaillant et les transferts financiers opérés en faveur du privé et au détriment du public se poursuivent.


Comme la démonstration vient d’en être faite avec brio et en grandeur réelle par JP Morgan Chase, la Value at Risk (VaR) est un instrument de l’évaluation du risque qui, bien que systématiquement utilisé, est totalement trompeur. À l’origine employée dans le secteur de l’assurance, la VaR a été introduite fin des années 80 dans les banques américaines, JP Morgan Chase créant en 1994 son service gratuit intitulé RiskMetrics destiné à la promouvoir, ce qui en a alors fait le spécialiste. Le Comité de Bâle institua en 1996 un modèle standard de calcul de la VaR, les banques utilisant jusqu’alors des modèles propriétaires soumis à l’approbation du régulateur.


Avec un tel pedigree et après un tel nouvel échec retentissant, la VaR est un des symboles les plus accomplis des errements de l’activité financière. Elle est née alors que cette dernière était en plein essor et que ses artisans étaient persuadés savoir mesurer le risque, et d’être même capables de le faire quasiment disparaître en le faisant prendre à d’autres pour le diluer… Vu le bouillon que JP Morgan Chase vient de prendre, cela ne manque pas d’ironie rétrospectivement. D’un montant annoncé de deux milliards de dollars, ce gadin pourrait atteindre jusqu’à 100 milliards de dollars dans le pire des cas. D’après The Independent de Londres, on en serait déjà à 7 milliards de dollars. 100 milliards est le volume des actifs structurés que la banque a acquis, asséchant ainsi le marché de certains produits structurés ; trouvant en conséquence difficilement des contreparties pour déboucler son énorme position. Pour se financer, la banque s’était auparavant délestée de bons du Trésor américain, au rendement trop faible. Puis, en raison des risques pris, elle a voulu se couvrir et s’est magistralement prise toute seule les pieds dans le tapis en engageant des paris si complexes qu’elle ne les a pas maitrisés. C’est tout du moins l’explication que laisse supposer JP Morgan, dont des analystes doutent. L’affaire est loin d’être finie.


Il y a deux moralités à cette histoire très amorale. La première est que la gestion du risque financier reste un pari comme un autre, qui peut donc être perdu ; la seconde est qu’il ne fait pas bon avoir une telle taille de bilan et de disposer des moyens de se lancer dans des spéculations de cette ampleur !


JP Morgan Chase a cherché à bloquer l’entrée en vigueur de la réglementation Volcker, qui était prévue en juillet. À en croire les propos tenus par les régulateurs américains, cette affaire pourrait au contraire aboutir à sa réécriture, car si le texte de loi interdit aux banques de spéculer sur les marchés pour leur propre compte, elle autorise les opérations de couverture de leurs risques. Or c’est précisément ce que JP Morgan semble avoir fait…


Dans l’immédiat, la mesure de la VaR devrait être reléguée dans un placard ! Ce qui poserait le problème de son remplacement. Car le risque de marché de JP Morgan Chase était selon son estimation très limité au premier trimestre 2012, après avoir été, pour 2011, en moyenne inférieur à moins de la moitié de celui des autres mégabanques américaines. Remarque en passant, ces autres banques ne doivent pas être en si bonne forme, vu leur VaR


Une nouvelle venue de Milan vient nous rassurer en nous montrant la marche à suivre. L’action de Banco Popolare s’est envolée lundi à la bourse milanaise dans un marché à la baisse. La raison en est le feu vert donné par la Banque d’Italie à l’utilisation par la banque commerciale de ses propres modèles de mesure de risque de crédit et de marché. Les dirigeants de cette dernière ont fait valoir qu’un « pas fondamental dans le processus de renforcement des fonds propres » avait été ainsi accompli, la banque atteignant presque désormais le niveau de fonds propres réclamé par l’EBA, l’autorité de régulation bancaire européenne…


Parlant du risque et de ses aléas, il n’est pas inopportun d’élargir le sujet à celui que prennent actuellement les États européens, en tant qu’actionnaires des banques centrales. On sait désormais que l’Eurosystème (la BCE et les Banques centrales nationales) a accumulé des quantités d’actifs d’une qualité qui n’est même plus douteuse, qu’une décote leur ait été appliquée ne changeant rien à leur qualité intrinsèque. Cela signifie tout simplement que le risque que les établissements bancaires supportaient a été transféré sans crier gare vers les banques centrales nationales, qui sont par défaut devenues avec la BCE les bad banks que l’on n’a pas voulu créer.


Ces établissements n’ont pas encore fini de se délester, car comme le montre actuellement la crise du système bancaire espagnol, la purge est loin d’être finie en Europe ; elle pourra donc se poursuivre à l’occasion d’une nouvelle injection massive de liquidités de la BCE. On a pu d’abord penser qu’une réédition de cette opération attendrait l’échéance du remboursement des deux déjà effectuées, pour mille milliards de dollars, leur remboursement étant loin d’être garanti… Mais, à la réflexion, il existe une autre bonne (ou mauvaise) raison de ne pas attendre si longtemps, c’est d’assurer la bonne fin du transfert de risque. Car il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin.


Alors qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni ainsi qu’au sein de la zone euro, un débat rampant et assez académique se poursuit à propos des risques inflationnistes de la création monétaire (ou quasi-création, dans le cas de la BCE), c’est une autre partie qui est en train de se jouer. En application de la seule stratégie dont les dirigeants européens disposent, avec comme objectif non avoué de soulager le système financier. Quitte à endosser comme un vulgaire chèque en bois le risque que celui-ci a engrangé et dont il ne sait plus que faire. L’aléa moral – l’incitation à fauter – sur lequel on a beaucoup discouru, à propos duquel on discute encore gravement avec l’intention de le supprimer, se concrétise là où on ne le cherche pas, bien en évidence comme la fameuse lettre volée d’Edgar Allan Poe.


Une des difficultés que cette stratégie rencontre chemin faisant est qu’elle aboutit à concentrer le risque sur les États qui restent dans la course, les plus solvables. Ce qui revient à réduire sa base d’appui au fur et à mesure qu’elle produit ses effets, comme on le constate actuellement. Cela ne va pas sans susciter, notamment en Allemagne, un fort refus de partager l’effort. Mais on se trompe de cible en visant la Grèce et en absolvant ses propres banques.


Ce n’est pas le cas de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, qui vient de rappeler aux dirigeants européens, à propos du financement des banques grecques et la situation du pays, qu’il leur revient « de décider si les contribuables européens doivent encourir des risques complémentaires »… Sans doute parce qu’il croit que le coût du sauvetage sera supérieur à celui de l’abandon, ce qui reste à démontrer. Après avoir déjà rué dans les brancards à propos de l’accumulation à son bilan de créances sur les autres banques centrales nationales, via Target 2, puis avoir obtenu de la BCE le droit de déterminer elle-même la liste des collatéraux qu’elle accepte, la Buba (surnom de la Bundesbank) pose désormais le doigt sur une grosse contradiction. Cherchant à minorer les engagements financiers de l’État d’une main, le gouvernement allemand ne peut éluder de l’autre la logique de construction de la zone euro, car il n’a pas intérêt à son éclatement. Une logique va au-delà de la seule question grecque.


Enfin, et ce n’est pas le moindre de ses paradoxes, cette stratégie exige de résorber toutes affaires cessantes la dette publique au même moment où les garanties que les États doivent accorder via leurs banques centrales s’accroissent… Si l’on cherche un moteur au rebondissement à grande échelle de la crise, il ne faut pas chercher plus loin.


Certes, l’avantage de cette approche est que son coût spécifique est dans l’immédiat masqué. L’opération est aussi opaque que ne le sont les activités financières dont un nouveau dérapage vient d’être illustré par JP Morgan Chase. Pour la suite, les banquiers centraux font régulièrement valoir qu’ils disposent des instruments pour retirer du marché, le moment venu, les liquidités qu’ils y ont déversées. Et faire ainsi disparaître le problème, tout rentrant dans l’ordre. Le problème est que ce moment ne vient pas ! La raison n’est pas uniquement qu’ils débrancheraient les tuyaux qui maintiennent sous assistance le système financier, mais aussi parce qu’ils restitueraient au passage aux banques leurs actifs pris en pension, dont la qualité ne s’est pas améliorée, contrairement aux attentes initiales.


Les banques centrales sont désormais scotchées ! Les pertes doivent être quelque part et ne peuvent pas indéfiniment être masquées, c’est pourquoi les banquiers centraux n’ont pas d’autre alternative que de les garder au frigo. Quand ils vendent certains de ces actifs – la Fed a procédé à quelques opérations limitées à grand spectacle, un simulacre – ce n’est qu’après en avoir sélectionné la crème.


Qui va payer la crise est une question encore largement en suspens. L’austérité qui résulte de la réduction des déficits publics n’est qu’un avant-goût de ce qui pourrait encore survenir, vu les pertes accumulées dans l’Eurosystème. Un retour à l’envoyeur s’impose, mais les capitaux ne sont jamais là où ils devraient être, en l’occurrence pour éponger les pertes. Par inadvertance, sans doute. Mais plus ce renvoi sera tardif et improvisé, plus grands seront les dégâts qu’il suscitera.


Les méchants financiers seraient-ils non seulement des mauvais joueurs mais aussi des tricheurs ? Bien placés pour savoir ce que vaut réellement leur propre mesure du risque, ils transfèrent aux États les risques correspondants à des profits qu’ils ont déjà tirés. Selon le même processus, somme toute, que ces nationalisations des pertes qui interviennent quand les bénéfices se sont taris. En plus grand et plus masqué, c’est la répétition du sauvetage des banques dans l’affolement du début de la crise qui est en cours. Mais il y a décidément quelque chose qui cloche, car il ne se déroule pas comme envisagé.


Le dysfonctionnement qui enfle se manifeste dans l’immédiat par d’importants retraits bancaires enregistrés dans plusieurs pays, dont la Grèce et l’Espagne, qui font craindre la poursuite et l’amplification du phénomène sous forme larvée et l’érosion progressive des dépôts des banques, conduisant au bout du compte celles qui le subissent à l’effondrement, vu leur fragilité. La libre circulation des capitaux est l’un des fondements de l’Union européenne et les déposants disposent de ce moyen pour protéger leurs économies des dépréciations qui résulteraient d’une sortie de leur pays de l’euro.


Un tel phénomène – prophétie auto-réalisatrice typique – ne peut être techniquement enrayé que par des restrictions et limitations aux retraits et des interdictions de transfert. Ainsi que par la création d’un fonds de garantie européen des dépôts, qui limiterait les dégâts, comme proposé par Mario Monti au G8.


Venant amplifier des transferts déjà enregistrés au sein de l’Eurosystème – des pays les plus faibles vers les plus forts – il se traduit en dernière instance par le gonflement des créances dont la Buba dispose sur les autres banques centrales nationales. Porteur de l’éclatement de la zone euro, ce déséquilibre financier doit être impérativement stoppé. Les dirigeants européens vont devoir s’y consacrer entre autres tâches urgentes.


Il n’est par contre pas prévu d’enrayer le mécanisme global de transfert de la dette privée vers les structures publiques, mais plutôt de le renforcer. Cela serait entre autre le cas si le Fonds de stabilité financière, ou son successeur, prenait le relais de la BCE pour soulager les banques espagnoles (pour commencer). Le pacte budgétaire est déjà la réussite que l’on sait ; ce transfert procède de la même désastreuse inspiration stratégique.


Billet rédigé par François Leclerc


Son livre, Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître.


Un « article presslib’ » est libre de reproduction numérique en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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Belle analyse et belle synthèse, je rajouterai juste que les médias pourraient se saisir de ces dossiers pour "éclairer" le peuple et obliger les politiques et les banques à s'expliquer. Peut être les médias ne sont pas libre ( ironie ) ?
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"Les méchants financiers seraient-ils non seulement des mauvais joueurs mais aussi des tricheurs ?"

Ah bon ? Parce qu'il y en a qui doutent encore... ?
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"Qui va payer la crise est une question encore largement en suspens. L’austérité qui résulte de la réduction des déficits publics n’est qu’un avant-goût de ce qui pourrait encore survenir, vu les pertes
Les méchants financiers seraient-ils non seulement des mauvais joueurs mais aussi des tricheurs ? Bien placés pour savoir ce que vaut réellement leur propre mesure du risque, ils transfèrent aux États les risques correspondants à des profits qu’ils ont déjà tirés. Selon le même processus, somme toute, que ces nationalisations des pertes qui interviennent quand les bénéfices se sont taris. En plus grand et plus masqué, c’est la répétition du sauvetage des banques dans l’affolement du début de la crise qui est en cours. Mais il y a décidément quelque chose qui cloche, car il ne se déroule pas comme envisagé.

Les méchants financiers seraient-ils non seulement des mauvais joueurs mais aussi des tricheurs ? Bien placés pour savoir ce que vaut réellement leur propre mesure du risque, ils transfèrent aux États les risques correspondants à des profits qu’ils ont déjà tirés. Selon le même processus, somme toute, que ces nationalisations des pertes qui interviennent quand les bénéfices se sont taris. En plus grand et plus masqué, c’est la répétition du sauvetage des banques dans l’affolement du début de la crise qui est en cours. Mais il y a décidément quelque chose qui cloche, car il ne se déroule pas comme envisagé."

TOUT EST DIT :-D
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Belle analyse et belle synthèse, je rajouterai juste que les médias pourraient se saisir de ces dossiers pour "éclairer" le peuple et obliger les politiques et les banques à s'expliquer. Peut être les médias ne sont pas libre ( ironie ) ? Read more
marshaka - 5/25/2012 at 2:19 PM GMT
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