Les droits de l’homme : protection des libertés ou menace ?

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From the Archives : Originally published January 27th, 2014
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Les droits de l’homme sont-ils le fondement de la protection des libertés ou les menacent-ils ? Une telle question peut paraître surprenante. Comment les droits de l’homme pourraient-il constituer une menace ? Ne trouve-t-on pas au contraire, dès l’article 2 de la Déclaration de 1789, cette idée que le but de toute association politique est la conservation des droits imprescriptibles de l’homme, dont le droit à la propriété ? Et ne lit-on pas également à l’article 17 que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé » ?


Où est donc le problème ? Le problème est qu’il ne suffit pas de garantir les libertés individuelles contre les empiètements d’autrui. Il faut aussi les garantir contre les empiètements de la législation, c’est-à-dire des décisions collectives qui peuvent résulter d’un vote à la majorité. Or, quand on regarde de près la Déclaration de 1789, elle est truffée d’articles qui conditionnent le respect des libertés individuelles au bon vouloir de la loi.


À l’origine de la Déclaration de 1789


La Fayette fut élu député de la noblesse de Riom aux états généraux. Dès le 11 juillet 1789, à l'Assemblée nationale, il présenta un projet de Déclaration européenne des droits de l'homme et du citoyen, inspiré de la Déclaration d'indépendance américaine de 1776.


Le projet de La Fayette a été repris dans la version finale, souvent dans les mêmes termes. Cependant, quelques articles ont été altérés par des additions qui redonnent à l’État un pouvoir que la déclaration initiale cherchait précisément à éviter[1].


En voici un exemple. Un des articles de La Fayette disait : « L’exercice des droits naturels n’a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société ».


Dans la déclaration finale, ce même article devient :


Art. 4. L’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.


Cette dernière phrase change tout. Elle redonne à la loi et donc à l’État le pouvoir illimité de définir les bornes de la liberté et donc de la propriété. La Fayette, isolé dans la commission établie par la Constituante pour préparer la Déclaration des droits, n’a pas pu s’y opposer.


Autres difficultés :


Art. 3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. 


Art. 6. La Loi est l’expression de la volonté générale. 


Malheureusement, ces articles sont vagues et il est possible d’en faire une interprétation désastreuse. Ainsi, avec Rousseau, on a voulu croire que la nation ou la volonté générale avait un pouvoir illimité et que ce pouvoir justifiait tout. De ce que le peuple gouverne, on a conclu qu’il avait tous les droits. C’est précisément le reproche que fait Benjamin Constant à Rousseau : « En transportant dans nos temps modernes une étendue de pouvoir social, de souveraineté collective qui appartenait à d’autres siècles, ce génie sublime qu’animait l’amour le plus pur de la liberté, a fourni néanmoins de funestes prétextes à plus d’un genre de tyrannie », écrit Constant.


Il en va de même concernant la protection de la liberté de religion, d'expression et de la presse où ces droits individuels ne sont que des variables assujetties à la loi, c’est-à-dire aux décisions collectives d’une assemblée.


On lit dans la Déclaration des droits de l’homme :


Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.


Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. 


Ces articles indiquent qu’on peut dire ou faire tout ce qui n'est pas contre la loi. Mais ils ne protègent en rien la liberté individuelle contre l’arbitraire d’une majorité ou de groupes de pression bien organisés. Une véritable protection de la liberté consisterait donc à exiger le silence de la loi et non la soumission à une loi.


Le Bill of Rights


Tel est précisément le cas du Bill of Rights, écrit moins d'un mois plus tard, en septembre 1789. Voici le premier amendement apporté à la Constitution des États-Unis d’Amérique :


Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, aucune loi qui interdise le libre exercice d'une religion, aucune loi qui restreigne la liberté d'expression, ni la liberté de la presse, ni le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d'adresser à l'État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis.


On trouve dans cette formulation une protection explicite contre la tyrannie de la majorité. La règle qui est posée ici n’est pas de « ne pas enfreindre la loi », mais de « ne pas faire de loi ». Les choix individuels sont ici clairement protégés contre l'ingérence possible d’un gouvernement, même dans les cas où la majorité serait en désaccord avec ces choix[2].


De même, dans la Déclaration d’indépendance de 1776, on trouve cette formule : « Tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur ». La Déclaration américaine reconnaît et proclame publiquement que le Créateur est la source des droits de l’homme et, ce faisant, elle nie implicitement que l’État soit la source des droits de l’homme. Ce n’est pas l’État qui est souverain, c’est l’individu, doté par son Créateur de droits inaliénables. On est bien loin de l’esprit, comme de la lettre, de la Déclaration française.


La tyrannie législative selon Benjamin Constant


Nul mieux que Benjamin Constant, n’a formulé cet impératif catégorique du silence de la loi :


Le législateur n'a pas le privilège de distinguer mieux que les individus soumis à son pouvoir ce qui est nuisible et ce qui est avantageux (...) Toutes les fois qu'il n'y a pas nécessité absolue, que la législation peut ne pas intervenir sans que la société soit bouleversée ... il faut que la loi s'abstienne, laisse faire et se taise[3].


Dans son Commentaire sur un ouvrage de Filangieri, Constant fustige la tyrannie législative :


Étendre sur tous les objets la compétence de la loi, c'est organiser la tyrannie (...) Si c'est la législation qui fixe les droits de chaque individu, les individus n'ont plus que les droits que la législation veut bien leur laisser (...) Il y a une partie de l'existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante - et qui est de droit hors de toute compétence sociale ou législative (...) Au point où commence l'indépendance de l'existence individuelle s'arrête l'autorité de la législation ; et si la législation franchit cette ligne, elle est usurpatrice. Dans la partie de l'existence humaine qui doit rester indépendante de la législation résident les droits individuels, droits auxquels la législation ne doit jamais toucher, droits sur lesquels la société n'a pas de juridiction, droits qu'elle ne peut envahir sans se rendre coupable de tyrannie[4].


C’est pourquoi l'autorité de la loi doit rester limitée. Lorsque cette autorité s'étend sur des objets hors de sa sphère, elle devient illégitime.


Concluons avec Benjamin Constant :


Aucun devoir ne nous lie envers des lois telles que celles que l'on faisait, par exemple, en 1793, ou même plus tard, et dont l’influence corruptrice menace les plus nobles parties de notre existence. Aucun devoir ne nous lierait envers des lois qui, non seulement restreindraient nos libertés légitimes, et s'opposeraient à des actions qu'elles n'auraient pas le droit d'interdire, mais qui nous en commanderaient de contraires aux principes éternels de justice ou de pitié, que l'homme ne peut cesser d'observer sans démentir

sa nature[5].



 

 





[1] Je m’appuie ici sur une analyse précieuse de Jacques de Guenin.

[2] Malheureusement, depuis cette époque, l’Amérique s’est beaucoup éloignée de ses principes fondateurs.


[3] Commentaire sur l’ouvrage de Filangieri. Chapitre IX. Des erreurs en législation.

[4] Ibid.

[5] Réflexions sur les constitutions, note V de l’édition de 1818.

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Damien Theillier est professeur de philosophie en terminale et en classes préparatoires à Paris. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
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C'est un bon article visant à améliorer la Déclaration. Je craignais que ce ne soit une critique de la Déclaration que dans la novlangue facho moderne, on désigne du méprisant "droit de l'homisme" !

quid de la "déclaration universelle des DEVOIRS et droits de l'homme et du citoyen" ?
Je vous suggère de lire le livre "La Meilleure JUstice au Monde?" paru denièrement, vous allez voir comment les droits de l'homme sont pris en considération et comment la justice est exercée dans certains pays se disant démocratiques et des États de droit, où des politiciens sans crédibilité nomment simples avocats à des fonctions de juges dès les cours de petites instances à la plus haute cour. Dernièrement un avocat d'un parti politique a été nommé à la plus haute cour, le hic il n'était même pas en règle avec le fisc. Tout un contraste par rapport aux pays où les magistrats font objet d'une sélection de rigueur, issus d'une école supérieure de magistrature et que cela est totalement séparé du politique. Dans ce livre il est même question d'un PM qui avait nommé (juste quelques jours avant de finir son mandat) juge un des ses amis et ancien collègue de classe. Le hic le dit avocat était plein de dettes qui ne paiait pas pour environ de l'équivalent d'un million de dollars. Le conseil de la magistrature que se vante d'être indépendant de la politique se faisait imposer à une cour d'instance supérieure un avocat qui aimait l'opulence à crédit au-dessus de ses moyens. Quel justice et le respect des droits peut un juge de cet acabi rendre? C'est vraiment insulter la plèbe en oser dire aux quatre vents que le judiciaire est indépendant du politique.
L.Conceicao
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C'est l'individu souverain qui compose l’État qui est à son service (par procuration) et non l'inverse !
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"Ce n’est pas l’État qui est souverain, c’est l’individu, doté par son Créateur de droits inaliénables. On est bien loin de l’esprit, comme de la lettre, de la Déclaration française."
Le contexte n'était pas le même. La révolution française cassant les reins au clergé ne pouvait pas aliéner les droits de ses citoyens à Dieu-le-Père ! Eh, c'était les grands débuts du matérialisme pur et dur dont nous subissons encore les conséquences avec entre autre le socialisme. Cela dit imposer le pouvoir de l'état était tentant, surtout pour ceux qui détiennent les leviers de commande. Cet héritage continue à nous pourrir la vie puisque nos politiques ne justifient leur existence qu'à travers leur action pour nous "diriger"... Ce dont globalement on se passerait bien.
Bah, peut-être qu'avec la prochaine révolution on reviendra à plus de prise de conscience spirituelle....




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samideano - 2/28/2017 at 10:05 AM GMT
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