Parmi les poids lourds de la pensée économique conventionnelle, c’est au tour d’Alan Greenspan de monter au créneau afin d’annoncer la désintégration inéluctable de la zone euro. C’est ce qu’il a indiqué dans une interview accordée à l’édition de février du magazine Gold Investor. Le « maestro » s’est également fait l’écho de la stagnation de la croissance de la productivité, dont nous avons parlé dans notre article d’hier, et abordé de nombreux aspects de l’or.
N’oubliez jamais. L’or est LA monnaie.
Le reste n’est que du papier ou, pire, quelques octets. (Petite dédicace à nos amis fans de Bitcoin-coin !)
Q : Depuis ces derniers mois, les craintes concernant la stagflation grandissent. Pensez-vous qu’elles sont légitimes ?
Nous traversons depuis un moment une période de stagnation de la croissance de la productivité, particulièrement dans le monde développé, qui est principalement alimentée par le vieillissement de la génération du baby-boom. Les avantages sociaux entravent l’épargne domestique brute, la source principale de l’investissement, dollars pour dollars. Le déclin de l’épargne domestique brute en tant que pourcentage du PIB a limité les investissements, immobilier exclu. C’est la baisse des investissements qui a éteint la croissance de la productivité. Durant les cinq dernières années, la croissance de la productivité a augmenté d’environ 0,5 % par an, aux États-Unis et dans les autres pays développés, alors qu’auparavant cette hausse se situait autour des 2 %. Il s’agit d’une énorme différence, qui se répercute sur le PIB et le niveau de vie de la population.
Alors que la croissance de la productivité ralentit, c’est l’ensemble du système économique qui débraye. Ce qui a provoqué du désespoir, et donc la montée du populisme économique, du Brexit à Trump. Le populisme n’est pas une philosophie ou un concept, comme le socialisme et le capitalisme, par exemple. C’est au contraire un cri de détresse. Les gens disent : au secours, faites quelque chose.
Simultanément, le risque d’inflation commence à augmenter. Aux États-Unis, le taux de chômage est en dessous de 5 %, ce qui a mis la pression sur les salaires et le coût du travail en général. La demande reprend, comme le montre l’augmentation généralisée de la masse monétaire, qui alimente les pressions inflationnistes. Jusqu’à présent, l’augmentation des salaires a été largement absorbée par les employeurs mais si cela devait continuer, les prix finiront par suivre. Si vous imposez l’inflation à la stagnation, vous obtenez la stagflation.
Q : Alors que les pressions inflationnistes augmentent, anticipez-vous un regain d’intérêt pour l’or ?
Une augmentation significative de l’inflation débouchera tôt ou tard sur l’augmentation du prix de l’or. Investir aujourd’hui dans l’or, c’est prendre une assurance. Ce n’est pas pour faire des profits à court terme, mais pour se protéger à long terme.
Pour moi, l’or est la première devise mondiale. Il s’agit de la seule devise, avec l’argent, qui n’a pas de signature de contrepartie. L’or, cependant, a toujours été plus précieux, par once, que l’argent. Personne ne refuse de l’or en tant que paiement pour se décharger d’une obligation. Les instruments de crédit et l’argent papier dépendent de la solvabilité d’une contrepartie. L’or, ainsi que l’argent, est l’une des rares devises dotées d’une valeur intrinsèque. Cela a toujours été le cas. Personne ne remet en question sa valeur, il a toujours été précieux depuis la première pièce créée en Asie Mineure vers 600 av. J.-C.
Q : L’année dernière, nous avons été les témoins du Brexit, de la victoire de Trump à la présidentielle américaine et à une augmentation décisive de la politique anti-establishment. Comment pensez-vous que les banques centrales et les politiques monétaires vont s’ajuster à ce nouvel environnement ?
Le seul exemple similaire que nous avons est ce qui s’est passé dans les années 70, la dernière fois que nous avons connu la stagflation ainsi que de réelles craintes de voir l’inflation partir en vrille. Paul Volcker fut nommé à la tête de la FED, et il fit grimper le taux directeur jusqu’à 20 % afin de mettre un terme à l’érosion. Ce fut une période très déstabilisatrice, et ce fut de loin la politique monétaire la plus efficace de l’histoire de la FED. J’espère que nous ne devrons pas répéter cet exercice pour stabiliser le système. Mais cela reste une question ouverte.
La BCE a de plus gros problèmes que la FED. L’actif du bilan de la BCE n’a jamais été aussi élevé, ayant grimpé de façon constante depuis que Mario Draghi a déclaré qu’il ferait tout ce qui est nécessaire pour sauver l’euro. Je nourris de grandes craintes quant au futur même de l’euro. Dans les faits, le nord de l’Europe a financé les déficits du sud, cela ne peut continuer indéfiniment. La zone euro ne marche pas.
Simultanément, au Royaume-Uni, la façon dont le Brexit sera concrétisé reste floue. Le Japon et la Chine sont également empêtrés dans leurs propres problèmes. Il est donc très difficile de trouver une grande économie raisonnablement solide. C’est pourquoi il est difficile de prédire comment les banques centrales répondront.
Q : Même si l’or n’est pas une devise officielle, il joue un rôle important dans le système monétaire. Quel rôle devrait occuper le métal jaune, selon vous, dans ce nouvel environnement géopolitique ?
Le standard or a connu son apogée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, une période de prospérité mondiale extraordinaire caractérisée par une augmentation ferme de la productivité et une inflation très basse.
Mais aujourd’hui, le consensus affirme que le standard or du XIXe siècle ne marchait pas. Je pense que c’est comme porter la mauvaise taille de chaussures pour affirmer que le modèle n’est pas confortable ! Ce n’est pas le standard or qui a failli, mais la politique. La Première Guerre mondiale a mis fin aux taux de change fixes et aucun pays n’a voulu subir l’humiliation d’avoir un taux de change, par rapport au dollar, inférieur à celui de 1913. (…)
Aujourd’hui, le retour au standard or serait perçu comme un acte de désespoir. Mais si le standard or était encore en place aujourd’hui, nous ne serions pas dans la situation dans laquelle nous sommes. Nous ne pouvons nous permettre d’investir dans les infrastructures comme nous le devrions. Les États-Unis en ont grandement besoin, les investissements devraient payer pour eux-mêmes. Mais peu de ces retours positifs seraient reflétés dans les flux monétaires privés nécessaires pour rembourser la dette. La plupart de ces investissements devraient être financés par de la dette gouvernementale. Or, nous sommes déjà proches d’une dette à trois chiffres en termes de ratio dette/PIB. Avec le standard or, nous ne nous serions jamais endettés autant, car il permet de garantir la rigueur budgétaire.
Q : Pensez-vous que les politiques fiscales devraient être ajustées pour venir en aide aux politiques monétaires ?
Je pense que l’inverse est vrai. Les politiques fiscales sont plus une politique fondamentale. Les politiques monétaires n’ont pas le même pouvoir. Si les politiques fiscales sont bonnes, les politiques monétaires sont simples à mener. Le cauchemar d’un banquier central est un système fiscal instable, tel que nous le connaissons aujourd’hui. (…)
Je pense également que les règles de capitalisation des banques et des intermédiaires financiers devraient être bien plus restrictives qu’elles le sont aujourd’hui. Avec le recul, toutes les crises récentes furent des crises financières. L’économie américaine non-financière était encore en bonne forme avant 2008, par exemple. C’est l’effondrement du système financier qui a entraîné dans sa chute l’économie non-financière. S’il y a suffisamment de capital dans le système financier, les chances de contagion de faillites en série diminuent grandement (Greenspan suggère de passer de 11 à 20 ou 30 %). (…) »