« L’économie globale a peu de chances d’entamer une
reprise en 2014. Les attentes d’une économie américaine en passe de dépasser
la vitesse d’évasion s’avèreront vaines. Les politiques économiques d’Abe Shinzo
ont des chances de finir en queue de poisson. Les économies émergentes
n’accélèreront pas. Il y a des chances que l’économie globale en termes de
PIB nominaux, aux taux de change actuels, augmente de 2%.
La globalisation, accélérée par la technologie de
l’information, a raccourci le circuit de rétroaction entre le stimulus de la
demande et la réponse de l’offre. La croissance qui vient maintenant répondre
à la demande de stimulus ne peut pas durer, comme l’ont prouvé ces cinq
dernières années.
Maintenir à des niveaux suffisamment bas les biens
non-échangeables comme l’immobilier, la santé et l’éducation est la clé de la
compétitivité économique et d’une croissance durable. Les économies dynamisées
par le gonflement de ces biens seront pénalisées plus tard par un taux de
croissance plus faible.
Keynes est mort
J’explique depuis un certain temps déjà que l’épisode
actuel de globalisation a fondamentalement transformé le fonctionnement des
économies, y compris des plus grandes comme celle des Etats-Unis. Bien que la
demande soit restée locale, l’offre
s’est globalisée. Les cols bleus et les cols blancs de la manufacture se sont
globalisés. La technologie actuelle de l’information permet aux sociétés
multinationales de localiser leurs activités de recherche, de marketing, de
finance et de direction où elles veulent. Ainsi, quand un pays stimule la
demande, cette dernière est satisfaite par des produits qui viennent de
partout.
L’échec d’Abe
Le Japon a enregistré deux trimestres de croissance
importante, et beaucoup ont été persuadés que les politiques d’Abe Shinzo étaient ce dont ils avaient besoin. Mais au cours
du troisième trimestre, les chiffres de la croissance sont retombés autour
d’1%, et il y a des chances qu’ils y soient restés au cours du quatrième
trimestre. Les marchés financiers se retrouvent chancelants à mesure que
l’élan de croissance ralentit. Trop de gens sont investis dans les politiques
d’Abe pour changer de camp aujourd’hui. Mais après deux mauvais trimestres de
plus, ils en auront peut-être le courage.
Le gouvernement d’Abe a demandé aux sociétés japonaises
d’augmenter les salaires pour soutenir l’élan de croissance. Même si ces
augmentations de salaire voyaient le jour, comme les gens sauraient qu’elle a
été forcée et n’est pas durable, pourquoi la dépenseraient-ils ?
En terrain glissant
Les prix très élevés des marchandises ont entraîné une
frénésie sur le secteur de l’investissement. La crise de 2008 a mis fin à
cela pendant trois ans. D’importantes sommes de monnaie ont été allouées à
des projets à haut risque. Le risque auquel font face les économies de
marchandises est l’explosion de cette bulle sur l’investissement, et non la
réduction des revenus engendrée par la baisse du prix des marchandises per
se.
J’ai parlé de la trajectoire baissière éventuelle de
l’économie australienne en raison de l’explosion sur sa bulle de
l’investissement sur les sociétés minières. Je maintiens mes propos. Le pire
ne sera derrière nous qu’une fois que le système financier sera débarrassé
des actifs non-performants.
Le commerce global est-il la cause ou la conséquence de la
croissance ? Probablement la conséquence. Pendant les dix années qui ont
précédé la crise de 2008, le commerce engendrait la croissance. Les
multinationales diversifiaient leurs bases de production et leurs marchés.
Leurs activités ont poussé la croissance bien au-delà du PIB. La décennie
dorée de la croissance commerciale ne sera probablement qu’un évènement
unique en son genre.
Chacun pour soi
Lorsque les obstacles structurels sont l’entrave
principale à la croissance, le stimulus, même s’il est efficace, ne peut
apporter qu’un soulagement temporaire. Après la crise de 2008, les économies
majeures et notamment la Chine et les Etats-Unis, ont poursuivi leurs
politiques de stimulus. La nature globale du stimulus a engendré de la
croissance pendant deux ans. Des réformes auraient dû être adoptées.
Malheureusement, quand tout va bien, personne ne veut prendre de médicaments
amers.
La fatigue commence à s’installer tout autour du monde. La
Chine et les Etats-Unis ont des chances de réduire leurs politiques. La zone
Euro ne fera rien d’important. La Banque centrale européenne pourrait
diminuer les taux d’intérêts de 25 points de base pour les faire passer à
zéro, mais les effets n’en seront pas significatifs. Les politiques de
stimulus du Japon ne contrebalanceront pas l’impact de la hausse des taxes
sur la consommation. Le Brésil, l’Inde, l’Indonésie et d’autres économies
émergentes pourraient continuer d’augmenter leurs taux d’intérêts contre les
monnaies dévaluées.
Une réforme du commerce international pourrait rajeunir
l’économie globale. Malheureusement, les accords de l’Organisation mondiale
du commerce sont très limités. Le système tout entier est coincé. Il n’est
plus une plateforme permettant d’aller de l’avant. Le Partenariat trans-pacifique dirigé par les Etats-Unis est lui-aussi
coincé. Les négociations commerciales de Washington avec l’Union européenne
n’en mènent pas large non plus. Il semblerait qu’aucune réforme ne soit en
passe de restaurer la croissance cette année.
Les nations qui veulent prospérer doivent le faire malgré
une économie globale en mauvais état. L’une des solutions qui s’offrent à
elles est la dévaluation. Bien entendu, la dévaluation compétitive finira par
aggraver le cas de tout le monde. Pour les économies émergentes, la
dévaluation est généralement suivie par une inflation. Elle n’apporte aucun
bénéfice.
La seule solution durable est d’augmenter la compétitivité
au travers de réformes structurelles. Voilà qui stimulerait la croissance
grâce à une efficacité accrue. Les économies majeures pourraient identifier
les problèmes qui se posent à la croissance économique : le coût des
soins de santé aux Etats-Unis, la rigidité du marché du travail en Europe,
les industries zombies du Japon, le manque d’infrastructures en Inde et le
surinvestissement en Chine. Imaginez que ces problèmes soient combattus.
L’économie globale pourrait augmenter à un rythme de 4% par an.
Bien entendu, les réformes structurelles coordonnées ne
sont que chimères. Les réformes structurelles sont douloureuses. Tout le
monde attend que d’autres agissent avant eux. Et quand les autres commencent
à s’en sortir, il est facile de profiter des avantages. Attendre que les
autres fassent le premier pas est ce qui a causé l’équilibre de stagflation
dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui.
Alors que nous avons tendance à espérer le meilleur, la
réalité peut être cruelle. Tant qu’il est possible de patauger, aucune
réforme ne voit le jour. Après la crise de 2008, j’ai prédit une politique de
stimulus généralisée, son échec éventuel et la descente du monde vers la
stagflation. Malheureusement, c’est ce qui a le plus de chances de se passer ».