Les impôts, la mort… et le chômage

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From the Archives : Originally published September 04th, 2013
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« Dans ce monde, il n’y a rien d’assuré que la mort et les impôts. » Cet aphorisme, devenu l’un des plus célebres proverbes de la sagesse populaire américaine, provient en réalité d’une lettre écrite (en français) par Benjamin Franklin à un ami scientifique, J-B. Leroy.


Le contexte a son importance. Ambassadeur en France jusqu’en 1785, Franklin s’était lié d’amitié à cet autre inventeur, comme lui passionné par l’électricité. Bien plus tard, leurs découvertes et la dynamique de progres liée au capitalisme permettront la création et la démocratisation de moyens de communication rendant possible un contact instantané, à quelque distance que ce soit, entre deux individus quelconque.


Pour l’heure, les deux amis ne purent que se perdre de vue lorsque Franklin repartit vers ce qui était en train de devenir les Etats-Unis. Précisément, Franklin, l’un de ses Pères Fondateurs, était quelque peu occupé par l’indépendance de son pays et la rédaction de sa constitution. C’est d’ailleurs en référence à cette dernieère qu’il écrivit : « Notre constitution nouvelle est actuellement établie, tout paraît nous promettre qu’elle sera durable; mais, dans ce monde, il n’y a rien d’assuré que la mort et les impôts. »


De Leroy, il n’avait plus de nouvelles, au point qu’il se demandait même si son ami n’avait pas péri, par accident, dans le tumulte qui régnait alors en France. Nous sommes en 1789, et les temps sont incertains. Hier comme aujourd’hui, on ne peut être assuré de rien—sauf de la mort et des impôts, donc.


Mais est-ce bien tout? N’existe-t-il pas une troisième certitude, à savoir le lien entre pression fiscale et chômage? N’est-il pas assuré que l’impôt est mortel pour l’emploi?


Une explication purement théorique du lien entre ces deux phenomènes ne me paraît pas judicieuse, ici. D’une part, elle pourrait sembler ardue et ennuyeuse. Ensuite, on pourrait toujours retorquer que cela « n’est que de la théorie », un terme que la méfiance généralisée envers l’économie et les économistes tend à rendre synonyme d’ « idéologie » et même de « propagande. »


Le problème est que l’alternative, une vérification empirique, est bien plus complexe qu’on ne l’imagine. En fait, comme de nombreux économistes Autrichiens, je ne pense pas que les lois économiques puissent être corroborées de la même manière que les lois naturelles. Non pas parce qu’elles sont moins vraies, ou parce que la science économique est moins scientifique, mais parce qu’elle étudie un domaine différent et doit donc suivre une autre méthode.


Pour le dire simplement, il n’y a pas d’expérimentation possible, en économie, parce que l’on ne peut pas étudier ce genre de phénomènes en créant des conditions artificielles pures dans lesquelles tous les facteurs non-pertinents sont neutralisés. On ne peut, par exemple, comparer des pays strictement identiques, sauf du point de vue de leur pression fiscale, et comparer leurs taux de chômage. Bien entendu, la chose est rendue encore plus difficile du fait que les mesures du chômage ne sont pas toujours parfaitement fiables, ni comparables. De même, le taux de pression fiscale est une donnée très générale qui ne dit rien du détail des fiscalités de différents pays, alors que celles-ci peuvent agir très différemment  sur l’économie.


Ce que je propose ne prétend donc pas être scientifique au sens le plus fort du terme. Mais j’espère que l’on m’accordera qu’il ne s’agit pas non plus d’un simple propos partisan sans valeur de vérite.


Pour ce faire, j’ai choisi 14 pays à peu près au hasard. Je compare leurs scores dans ces deux domaines, et analyse les résultats de tendance. Je dis « à peu près au hasard », parce que j’ai tout de même déliberément choisi d’y inclure la France, par exemple, ainsi que de considérer des pays différents en termes de géographie, de puissance économique, de modèle social, etc. Les données (issues du CIA Worldfact Book, pour l’année 2012) sont reportées dans le tableau suivant (sans ordre particulier), ainsi que dans le graphique ci-dessous. La « fiscalité » renvoie à la part du PIB prelevée par l’État, exprimée en pourcentage.







Pression fiscale et taux de chômage dans 14 pays


Que remarque-t-on ? Tout d’abord, qu’il existe une relation forte  entre pression fiscale et chômage. L’échantillon est évidemment restreint, mais le coefficient de détermination est si fort (83,5%) qu’il serait effectivement très improbable d’obtenir un tel résultat s’il n’existait une véritable relation entre pression fiscale et chômage. 


Peut-on chiffrer cette relation ? Ici encore, je ne prétends ni à l’exactitude, ni même à la scientificité. Cette petite recherche permet néanmoins de donner un ordre d’idée. Il semble en effet que chaque point supplémentaire de pression fiscale se traduise par 0,2 point de chômage en plus.


J’insiste : je ne pretends pas qu’il s’agisse là d’une quelconque « loi ». Les données sur lesquelles je me fonde, de même que la méthode que je suis, sont loin d’être suffisamment rigoureuses. Il ne serait pas non plus correct de transposer mécaniquement cette comparaison entre pays en une observation valable pour chacun d’entre eux. Et cela d’autant que les effets de la fiscalité sur l’emploi doivent être bien différents, non seulement selon le détail de la fiscalite, mais aussi selon les autres caractéristiques d’une économie. Ces précautions prises, il n’en reste pas moins des plus probables que les impôts sont, d’une manière générale, mortels pour l’emploi.


Remarquons la place de la France dans le graphique ci-dessus. Si elle a la plus forte pression fiscale et le plus fort taux de chômage des pays considerés, son taux de chômage est en fait pire encore qu’il ne devrait l’être. Relativement au reste du monde, sa pression fiscale est l’une des plus fortes (12ème) et son taux d’emploi parmi les pires (111ème).

De là à dire que, pour raviver l’économie, c’est la pression fiscale qu’il faut combattre…


D’une manière plus générale, les 50 pays ayant la fiscalité la plus forte ont un taux de chômage moyen de 9,7%, alors que celui-ci n’est que de 7,4% parmi les 50 pays ayant la fiscalité la plus faible.


Évidemment, une telle comparaison n’est pas tout à fait juste. Si elle évite l’arbitraire lié à un plus petit échantillon, elle introduit également de fausses informations. Par exemple, les statistiques sont ainsi faites qu’elles mêlent prélèvements obligatoires et revenus du gouvernement, même si ceux-ci proviennent plutôt de l’exportation pétrolière. De même, nombre de pays ont une « fiscalité » faible et un « chômage » officiel élevé parce que l’activité y est largement informelle. Inversement, une pression fiscale élevée n’est souvent possible que dans des pays industrialisés dont les économies modernes permettent de contenir le chômage (du moins relativement aux taux très élevés que l’on observe dans certains pays en développement.)


Il est malheureusement très difficile de tenir compte de tels éléments. Si on nettoie les données brutes de la manière la moins arbitraire possible (en retirant simplement les pays pétroliers à fiscalité faible, ainsi que les pays les moins avancés), la perversité des impôts pour l’emploi apparaît plus nettement encore : entre pays relativement comparables, le chômage est presque double parmi ceux dont la fiscalité est la plus forte (10,9% contre 6,1%.)


Pour finir, il faut ajouter que la relation entre fiscalité et chômage est particulièrement dommageable pour les jeunes actifs. Reprenant les 14 pays étudiés plus haut, on observe ainsi la même tendance que pour la population générale, avec deux différences.





Source : http://www.guardian.co.uk/news/datablog/2012/may/16/youth-unemployment-europe-oecd






D’une part, la dispersion est plus importante (les données sont moins « alignées »), ce qui est normal puisque le chômage des jeunes est un phénomène plus particulier que le chômage général. Sa détermination par la pression fiscale n’en est pas moins remarquable. Surtout, la corrélation entre les deux est encore plus forte : ici, 1 point de PIB supplémentaire prélevé par l’État s’accompagne de 0,25 point de chômage en plus parmi les jeunes.


En conclusion, il semble donc bien déraisonnable de nier le lien entre impôts et chômage. Et ce sont surtout les jeunes, particulièrement en France, qui devraient s’élever pour exiger une baisse de la fiscalité et du poids de l’État dans l’économie.

 

 

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Jérémie Rostan enseigne la philosophie et l'économie à San Francisco. Il est l'auteur, en plus de nombreux articles pour mises.org et le quebecois libre, de guides de lecture aux travaux de Condillac et de Carl Menger, ainsi que d'un ouvrage , Le Capitalisme et sa Philosophie, et de la preface a la reedition de l'ethique de la liberte de Rothbard (Belles Lettres)
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Le chômage en France est aussi du à l'attitude des employeurs vis à vis des séniors; en résumé, t'es une merde dès 45 ans. Au Québec, les entreprises n'hésitent à demander au quinquas et plus d'envoyer leur CV : votre expérience nous intéresse. Une attitude radicalement opposée à celle des patrons français. Pour les "jeunes", nous en avons 150 000 qui sortent avant 18 ans sans aucun bagage scolaire ! Et nos BAC + 5, la norme française, qui bouffent des emplois et des logements qui reviendraient à de jeunes travailleurs, bloqués chez leurs parents, combien trouvent un job adéquat à leur BAC + 5 ?
Quant aux "impôts", je ne suis pas certain que l'on fasse bien la différence entre impôts sur le revenu, taxes diverses, et assurances obligatoires...et que l'on connaisse la répartition par pays, c'est cela qui compte; aux USA, aucune assurance santé n'est obligatoire, sauf peut-être avec les nouvelles lois: on compare quoi ?
Quant au système de soin, par exemple pour la Grande-Bretagne, de plus en plus d'anglais viennent se faire soigner en France ! Y compris pour de "simples" soins dentaires : un an pour un rendez-vous, c'est tout simplement le symptôme d'un système en état de pénurie chronique...
Quant au coefficient de corrélation linéaire, on pourrait trouver plein de choses à redire sur le choix des variables...
Le fait que ces études soient issues d'un agence d'espionnage ne vous intrigue pas ???
Pourquoi cette URL : https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/rankorder/2221rank.html?countryname=Senegal&countrycode=sg®ionCode=afr&rank=132#sg ???
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Impact de la fiscalité sur le coût du capital. Le modèle de Jorgensen suppose que l’entreprise peut toujours trouver de l’épargne. Or s’il existe une pénurie d’épargne par rapport à la demande de fonds prêtables, les taux d’intérêts vont monter, ce qui accroîtra d’autant le coût du capital. Comme il convient de prendre en compte dans le coût du capital le coût du travail, il est aisé de comprendre que l’influence de la fiscalité sur le coût du travail aura des conséquences sur l’emploi, toutes choses étant égales par ailleurs. L’investissement est sensible à la fiscalité directe des entreprises et des ménages.
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Sauf que, si vous permettez, dans un système keynésien où les banques centrales sont toutes puissantes, l'épargne est remplacée par de la création monétaire, et donc les taux d'intérêt ne montent pas, comme nous le voyons depuis des années.

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L'analogie avec les Diafoirus est frappante: saignez, saignez jusqu'à guérison ...
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Toujours très bien faits les articles de J T Rostan. Appréciable surtout d'y trouver une analyse que globalement je qualifierai d'honnête au vu des sujets qu'il traite.
Effectivement le comparatif chômage/impôts n'est pas évident à mettre en place. Avec un peu de bon sens il est aisé de remarquer que plus l'état est présent et plus la pression fiscale, au sens large du terme, est lourde, plus il y a de gens sur le carreau, et moins ils sont motivés pour aller de l'avant, être créateurs ou prendre dess initiatives. Plus grave encore, ce sont les jeunes qui trinquent alors que ce sont eux l'avenir d'un pays grâce à la dynamique de leurs 20 ans, même s'ils n'ont pas le recul d'un senior.
La castration étant omniprésente, à terme c'est le déclin et la mort d'une nation. C'est hélas ce qui nous arrive. Et je persiste à croire que ce qui sort et sortira des urnes n'apportera aucune solution. Il va falloir mourrir à ce que nous connaissons pour renaître, sinon il ne restera que de la poussière !
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Seule la diffusion de la liste des créanciers de la dette souveraine française, avec son historique depuis le début, nous renseignera sur la suite à donner à ce mécanisme infernal.
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ungars - 9/4/2014 at 8:16 PM GMT
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