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En 2010, les
économistes de l’Université du Maryland, Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff
(R&R) publient un article qui va connaitre un succès mondial. Elle
montre le rapport inverse qui existe entre niveau d’endettement
publique et croissance économique. Cette
étude a servi à justifier
des politiques de redressement budgétaire très
controversées en Europe. Or, en avril de cette année, les
économistes de l’Université du Massachussets
Amherst, (Thomas Herndon, Michael Ash et Robert Pollin ou HA&P),
ont montré que l’étude comporte des erreurs de calcul, qui une fois
corrigés, remettraient en question la relation entre endettement et
croissance. La presse et les
politiciens, surtout en France, ont immédiatement saisi cette occasion
trop belle de pointer du doigt le dogme de l’austérité
préconisé par les pays du Nord (Allemagne, Autriche, Finlande,
Grande Bretagne et Scandinavie). Ils sont sans doute allés un peu vite
en besogne.
Car
l’interprétation des travaux de R &R, comme celle de
leurs détracteurs, a été mal comprise. Si bien
qu’en fin de compte, la discussion autour de ces études, loin
d’avoir rendu le débat sur l’austérité plus
lisible, a encore ajouté de la confusion. Le tableau ci-dessous
indique les chiffres qui ont posé problème dans
l’étude R&R et les corrections apportées par
HA&P.
Tableau 1: Croissance du PIB réel selon le niveau
d'endettement publique pour 20 pays
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Ratio dette publique/PIB
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En dessous de 30%
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Entre 30 et 60%
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Entre 60 et 90%
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Plus de 90%
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Croissance moyenne du PIB réel, 1946-2009 (R&R, 2010)
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4.1
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2.8
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2.8
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-0.1
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Croissance moyenne du PIB réel, 1950-2009 (HA&P, 2013)
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4.0
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3.0
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3.1
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2.1
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Croissance moyenne du PIB réel, 1960-2009 (HA&P, 2013)
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3.9
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2.9
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2.8
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2.1
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Croissance moyenne du PIB réel, 1970-2009 (HA&P, 2013)
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3.1
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2.7
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2.6
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2.0
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Croissance moyenne du PIB réel, 1980-2009 (HA&P, 2013)
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2.5
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2.5
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2.4
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2.0
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Croissance moyenne du PIB réel, 1990-2009 (HA&P, 2013)
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2.7
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2.4
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2.5
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1.8
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Croissance moyenne du PIB réel, 2000-2009 (HA&P, 2013)
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2.7
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1.9
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1.3
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1.7
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Cette
présentation permet d’énoncer clairement les principales
conclusions de l’étude de R&R. 1) la croissance
économique du PIB réel est plus forte si elle s’accompagne
d’un endettement publique très bas (en dessous de 30% du
PIB) ;
2) Cette croissance
est moindre mais stable si elle s’accompagne d’un endettement allant
de 30 à 90% du PIB ;
3) La
croissance devient négative si l’endettement dépasse 90%
du PIB. Leur recommandation, à l’égard des pays qui ont
un endettement « moyen », est d’équilibrer
leur budget. Ils conseillent un surplus budgétaire à ces pays
qui flirtent avec un endettement proche des 90% de leur PIB. Après avoir
récupéré les données, HA&P
les ont corrigé et élargi l’étude en y incluant
des données sur d’autres périodes. Ils arrivent ainsi
à une conclusion différente mais pas diamétralement
opposée. En effet, Ils
trouvent aussi qu’un faible endettement est lié à plus de
croissance. Mais, leurs données montrent que cette relation est moins
forte au fur et à mesure qu’on prend en considération les
périodes les plus récentes. En outre, la croissance reste positive
avec un endettement supérieur à 90% du PIB. HA&P en concluent
que l’équilibre/surplus budgétaire n’est pas
nécessaire pour stimuler la croissance de l’économie.
Lors de la
sortie de cette étude, nombre de politiciens et de journalistes se
sont emparés des résultats pour dénoncer des plans
d’austérité européens qu’ils
considèrent comme dangereux. Ce faisant, ils se sont trompés
quant à l’interprétation de ce travail. Il est vrai que
HA&P montrent qu’un endettement supérieur à 90% ne
s’accompagne pas d’une croissance négative. Ils ne démontrent pas pour
autant qu’elle atteint un taux supérieur à celui
qu’il est possible d’obtenir à des niveaux d’endettement
inférieurs. Au contraire, leur travail montre clairement que la
croissance au-dessus du seuil de 90% est nettement inférieure (de 50
à 100%) à celle qu’on peut trouver à des niveaux d’endettement
inférieur à 30% si on intègre les années 1950 et
1960 au calcul. De plus, au cours de ces années, le niveau de
fiscalité total (incluant les cotisations sociales) était très
inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. En fait, les
données de HA&P permettent même de montrer que la hausse progressive
de la fiscalité au fil des années a réduit le potentiel
de croissance des économies qui avaient un niveau d’endettement
en dessous de 30% du PIB. Le constat est implacable. Le niveau de la
fiscalité commence à augmenter dans les années 70. Que
constate-t-on ? La croissance des pays dont l’endettement est
compris entre 30 et 90% commence à diminuer légèrement.
Quant à celle des pays dont l’endettement est inférieur
à 30%, elle diminue aussi au point de se rapprocher de celle des pays
plus endettés. C’est effectivement le nivellement par le
bas !
Autrement dit,
HA&P ne remettent pas totalement en cause l’étude
effectuée par R&R. En fait, leurs résultats corrigent et améliorent
les résultats de Reinhart et Rogoff, en ce sens qu’ils affinent leurs conclusions.
Ceci ne veut pas dire pour autant que les recommandations de R&R sont sans
reproches. Car elles ne précisent pas un élément crucial
de la question de l’« équilibre » ou du « surplus »
budgétaire. En effet,
R&R ne font aucune distinction entre les effets concrets d’un
équilibre/surplus obtenu par une baisse des dépenses publiques et
un autre obtenu par une hausse de la fiscalité. Peu importe la
méthode. Seul compte le résultat qui est de passer à un
endettement inférieur à 90%. Dans un cas comme dans
l’autre, la baisse de l’endettement doit, selon eux, améliorer
la croissance.
Ces auteurs laissent
croire qu’il n’y a
aucune différence entre consommation et investissement privés
ou publics. Or, nous verrons dans le prochain billet que cette
différence est réelle et fondamentale pour comprendre
l’impact des décisions publiques sur l’économie
privée.
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