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Ignorance et action humaine.

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Published : April 08th, 2017
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24hGold - Ignorance et action ...

Paris, le 8 avril 2017.

Jusqu'à preuve du contraire, chacun d'entre nous ne sait pas tout, mais vit dans une ignorance limitée dont personne ne saurait connaître la limite.

Et les personnes se distinguent les unes des autres par leur ignorance limitée de la réalité, des faits ou, si on préfère, par leur connaissance, fait synonyme que personne ne saurait connaître non plus.

1. L'émergence du "savant".

Force est d'admettre que, dans un contexte d'étude imaginé où les gens n'auraient pas d'ignorance de la réalité, il n'y aurait pas non plus de savant.

Parce qu'il y a ignorance, le savant a une raison d'être, à savoir la recherche qu'il a choisi de poursuivre et qui vise à amoindrir celle-là.

Le savant qui supposerait dans ses travaux que l'ignorance des faits n'existe pas, serait tout simplement incohérent, absurde.

. quid de ce que disent beaucoup d'économistes.

Que penser alors, dans ces conditions, de ces économistes qui, aujourd'hui, supposent que la situation de l'économie des gens qu'ils étudient est une connaissance parfaite ou complète ?

Il faut savoir que, pendant longtemps, l'économie politique a eu comme point de départ la "théorie de la valeur" (cf. ce texte de mars 2017).

J.B. Say en avait déduit au début du XIXème siècle que l'économie politique enseignait comment les valeurs qu'étaient les richesses, étaient produites, distribuées et consommées.

Mais des économistes lui ont juxtaposée, par la suite, la "théorie de l'équilibre économique général" et ont transformé l'économie politique en science économique.

Qui dit "science économique" dit "science" et "résultats des travaux de recherche des savants" étant données les méthodes qu'ils ont utilisées.

En général, dans leur méthode, les savants économistes ont fait abstraction de l'ignorance, de l'incertitude des individus, la certitude était l'hypothèse de règle, implicite ou non.

Les rares fois où l'ignorance ou l'incertitude était une hypothèse, ils expliquaient que l'État était l'unité de décision certaine par excellence, le cas échéant, la moins incertaine, et, par conséquent, la mieux placée pour venir à bout de ses effets maléfiques et aider les citoyens.

De leur côté, ceux-ci n'avaient pas à s'en occuper finalement, leur assénait-on.

Au total, l'incertitude était exclue du cadre théorique, soit pour simplifier :

« Dans les modèles considérés jusqu'à présent, nous avons supposé que les agents connaissaient parfaitement les conséquences de leurs décisions et que ces décisions déterminaient complètement l'équilibre, du moins si elles étaient compatibles entre elles.

La situation dans laquelle se trouvait l'économie ne comportait aucune incertitude, aucun risque.

Jusque vers 1950, on pouvait objecter aux théories de l'équilibre et de l'optimum de négliger ainsi un aspect fondamental du monde dans lequel nous vivons ». (Malinvaud, 1975, p. 287)

Malinvaud E. — Leçons de théorie micro-économique, Dunod (coll. statistique et programmes économiques), nouvelle édition, Paris, 1975.

soit parce qu'elle n'était pas jugée essentielle :

« Il faut accorder une grande importance à l'incertitude, comme à beaucoup d'autres facteurs encore, si ce qui nous intéresse est de développer une théorie satisfaisante de la composition du "portefeuille", ou ce qui est équivalent, du taux de variation des actifs pris individuellement.

Ces considérations ne semblent pas essentielles pour le développement d'une théorie utile des facteurs déterminant le taux global d'épargne [...]. » (Modigliani et Bromberg, 1954, cité par P. Salin, 1965, p.55)

Salin P. — Revenu permanent et cycle vital, dans D. Pilisi et alii, Une contribution à la théorie du revenu permanent, Presses Universitaires de France (coll. travaux et recherches, série Sciences économiques), Paris, 1965, 11-72.

Bien que la démarche fût confortée par la démonstration de l'équivalence mathématique de l'incertitude à la certitude dans certaines conditions (cf. Theil, H. 1954, "Econometrics Models and Welfare Maximization", Weltwirtschaftlisches Archiv, 72, 1954, pp. 60-83), des économistes de l'"école de l'équilibre économique général" (comme Debreu, G. 1959, Theory of Value (An Axiomatic Analysis of Economic Equilibrium), Yale University Press (Cowles Foundation Monograph, n° 17), NewHaven et Londres, 1959, ou bien Arrow, K.J. 1964, "The Role of Securities in the Optimal Allocation of Risk Bearing",  Review of Economic Studies, 31, avril 1964, 91-96) par exemple) prirent soin d'introduire explicitement l'incertain dans leur modèle mathématique :

« Jusque vers 1950 [...] [i]l était [...] difficile de savoir dans quelle mesure l'hypothèse simplificatrice d'absence d'incertitude affectait la portée des résultats obtenus.

Grâce aux progrès récents de la théorie des décisions en face du risque, cette importante lacune a pu être comblée en grande partie. » (Malinvaud, op. cit., p. 287)

Mais rien de fondamental ne fut modifié dans les résultats obtenus, l'incertitude était déduite de la certitude et l'équilibre économique général continuait à exister, unique.

Cela étant, je vous laisse le soin de répondre à la question ... à moins que vous veuilliez lire la suite du billet.

2. La théorie économique du savant.

Reste qu'au début de XXème siècle, Henri Poincaré, mathématicien, a parlé, tacitement, de la "théorie économique du savant" dans un livre intitulé Science et méthode (1908).

A ma connaissance, ce point n'a jamais été relevé par qui que ce soit.

Il a insisté sur le fait que le savant était infirme d'esprit et qu'il devait procéder à un choix sur les faits de la réalité pour mener à bien ses travaux, reconnaissant en passant que tout choix était un sacrifice et que, si le savant disposait d'un temps infini, il n'aurait pas cette contrainte.

a. Coût d'opportunité.

Ces considérations sont paroles d'or quoiqu'ignorées.

Elles ont ouvert, sans le vouloir, le chemin de la notion de "coût d'opportunité" en économie politique à une époque où elle était tout autre, où, par exemple, des economistes débattaient sur l'opposition de la valeur objective à la valeur subjective.

b. Loi de l'économie.

Et Poincaré s'est référé aux propos de Ernst Mach sur l'économie de pensée que les mots employés par des savants, des mots bien choisis, appropriés, ajustés, procuraient à la science:

"C'est que, comme l'a dit Mach, ces fous [les savants] ont économisé à leurs successeurs la peine de penser […]

Et c'est ainsi également que cette économie de pensée, cette économie d'effort, qui est d'après Mach la tendance constante de la science, est une source de beauté en même temps qu'un avantage pratique [...]

Le célèbre philosophe viennois Mach a dit que le rôle de la science est de produire l'économie de pensée, de même que la machine produit l'économie d'effort [...]

C'est à l'économie de pensée que l'on doit viser, ce n'est donc pas assez de donner des modèles à imiter [...]

on ne saurait croire combien un mot bien choisi peut économiser de pensée, comme disait Mach" (Poincaré, 1908, pp.9-31)

La "loi de l'économie" a fait les beaux jours des futurs mécaniciens, au XVIIIème siècle (cf. Georges Matisse, 1925).

Grâce au principe qu'elle constituait, ils ont pu développer un domaine important des sciences physiques qui a bénéficié au monde entier jusqu'à aujourd'hui, en théorie et en pratique (cf. ce texte).

En effet, la "loi de l'économie" n'est jamais dans ce cas que le principe que la Nature fait toute chose :

- au moindre temps,

- au moindre effort, ou

- à la moindre action.

Le temps y est une notion non définie par les physiciens (cf. audio de Lachieze-Rey de 2013).

Malgré cela, il est développé en long et en large (cf. audio de Klein de 2006).

La force y est, pour sa part, davantage utilisée que l'effort quand ce dernier n'est pas défini par l'"intensité".

L'action est surtout définie par la notion de "travail", pour ne pas dire "service", notion autant physique qu'économique aujourd'hui.

Curieusement, l'habitude aveugle veut que l'économie politique soit une conséquence de la mécanique qui résulte de tout cela alors qu'elle devrait en être la cause (cf. ce texte d'octobre 2014).

Si on doit admettre que la science économique est en définitive la reine des sciences, n'en déplaise aux historicistes et autres scientistes de tout bord qui en arrivent à lui refuser le statut de science, c'est que son fond a, entre autres, comme élément, l'étude de la "loi de l'économie".

Dans un article d'août 1998 publié dans le Zagreb Journal of Economics - actuellement disponible sur son site  et présenté dans ce texte de juillet 2010 -, R.A. Mundell, prix Nobel de science économique 1999,  a eu l'occasion de souligner le point dans la conclusion de son article en ces termes :

"It is, perhaps, fitting to close on an extension of Gresham's Law to the theory of money itself.

The motivating force underlying Gresham's Law is economy:

we settle a debt or transaction with the cheapest means of payment.

But that is what money is!"

En français:

"Elle s'ajuste, peut-être, pour fermer une extension de la Loi de Gresham à la théorie de la monnaie elle-même.

La force de motivation qui sous-tend la Loi de Gresham est l'économie:

nous faisons une dette ou un échange avec les moyens de paiement les moins chers.

Mais c'est ce qu'est la monnaie ! "

La monnaie, à elle toute seule, est une illustration de la "loi de l'économie", elle contribue à amoindrir le coût de l'échange.

Et cette "loi de l'économie", peu mystérieuse pour le bon économiste, est riche d'applications autres que celles relevées plus haut.

Et, à cette occasion, une interrogation surgit :

comment des économistes peuvent-ils en arriver à dire que leur discipline n'a pas de méthode et qu'ils doivent en chercher une ailleurs, par exemple en mécanique, alors que la mécanique en question repose sur la méthode, de fait ignorée par ces derniers, qu'est la loi de l'économie !

L'économie politique n'est pas mécanique, mais la mécanique est économique même si ces chercheurs se moquent de la notion économique de "coût". 

Et le principe de la moindre action reste une énigme au cœur de la physique (cf. Roland Omnès, 1994).

3. Infirmité ou ignorance.

Reste que Poincaré a parlé d'infirmité d'esprit et non pas d'ignorance ou même d'incertitude.

Peut-on considérer que les trois mots soient synonymes et les identifier?

Admettons, pour simplifier, que l'infirmité et l'ignorance le soient autant que peuvent l'être l'ignorance et l'incertitude.

4. Abondance des faits ou rareté des choses.

Il faut considérer que Poincaré voyait l'ignorance dans l'abondance des faits à quoi se heurtait le savant et parmi quoi celui-ci devait choisir pour pouvoir mener son action de recherche.

Il ne voyait pas, tacitement, l'ignorance dans la rareté des choses découvertes ou inventées par les gens, quoique cette hypothèse fût chère à beaucoup d'économistes qui laissaient de côté, à la fois, découverte et invention !

5. Une action à la fois.

A fortiori, on peut considérer que Poincaré ne voyait pas l'ignorance dans la seule action que chacun avait l'obligation de mener à chaque instant (échanger, produire, investir, épargner ou consommer des valeurs), à commencer par celle qu'il avait choisie lui-même, à savoir chercher à amoindrir toujours plus l'ignorance des faits.

En d'autres termes, dans ces conditions de la démarche de Poincaré, on peut déduire que

- non seulement, l'action du savant s'avère être un résultat de son ignorance, infirmité de l'esprit,

- mais encore, l'action unique de toute personne, savant ou non, à chaque instant, en est un autre, par infirmité de l'esprit et du corps.

  

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article particulièrement "gavant"
C'est precisement cette incertitude qui rend la science economique aussi passionnante !
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